Il est tour à tour scientifique, historique, animalier, culturel, musical, politique, militant, intime, social ou encore de découverte et de voyage… Le documentaire offre un regard unique sur notre monde et notre société. Depuis plusieurs années, il s’invite au palmarès des plus grands festivals de cinéma et rencontre un large public dans les salles obscures. À l’occasion de l’Année du documentaire, retour sur cinq succès publics et critiques de ces trente dernières années qui ont démontré la vitalité et la diversité des formats et des sujets retenus par les documentaristes.
Fahrenheit 9/11un brûlot anti-Bush palmé à Cannes
Son titre rappelle celui du roman Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, pour décrire la température à laquelle le papier des livres est supposé se consommer. L’ouvrage de science-fiction se serait largement inspiré de l’époque du maccarthysme et en remplaçant le chiffre par la date du 11 septembre, Michael Moore marque cette date comme le début de la création de lois liberticides, comme le acte patrioteentrée en vigueur en octobre 2001 pour lutter contre le terrorisme.
En remportant la Palme d’or en 2004 au Festival de Cannes, Fahrenheit 9/11 devient le deuxième documentaire couronné depuis 1956 et Le Monde du silence de Cousteau et Louis Malle. Une distinction pour un film engagé, un pamphlet, un brûlot contre l’administration Bush. Plus qu’un film sur la guerre, Fahrenheit 9/11 est une réflexion de Michael Moore sur la société américaine post-11-septembre. « J’ai voulu parler de l’époque dans laquelle nous vivions après ces attentats et montrer comment nous en étions arrivés là, ce qui nous était arrivé en tant que peuple », expliquait le réalisateur lors du festival de Cannes. Dans son film, il évoque notamment le rôle puissant de l’industrie pétrolière dans l’invasion de l’Irak en 2003, les élections présidentielles de 2000 et les liens entre la famille Bush et Ben Laden.
Revendiqué par le réalisateur comme un « acte politique » visant à empêcher la réélection de George W. Bush. Fahrenheit 9/11 n’atteindra finalement pas son mais puisqu’en novembre de l’année de sa sortie, en plein conflit avec l’Irak, le président américain rempile pour un second mandat.
Sous les souvenirs, Les plages d’Agnès Varda
« Si on ouvrait les gens, on trouverait des paysages. Moi, si on m’ouvrait, on trouverait des plages. » À presque 80 ans, Agnès Varda a décidé de revenir sur son parcours en sillonnant les plages qui ont marqué sa vie. Les plages d’Agnès prend ainsi la forme d’un « autodocumentaire » dans lequel elle se met en scène au milieu d’extraits de ses films, d’images et de reportages avec toute sa famille. « Cette idée a germé dans ma tête, quand j’ai réalisé que d’autres plages avaient marqué ma vie. Beaucoup de personnes âgées ont envie de raconter leur vie. Moi aussi. J’ai souhaité transmettre à mes proches et à d’autres quelques-uns des faits et travaux de mon parcours de vie. »
Le film la suit donc de la plage de La Panne à Knokke-le-Zoute au port et aux canaux de Sète de son adolescence. Il se poursuit à Los Angeles sur les plages de Venice et de Santa Monica et à Noirmoutier sur la plage de La Guérinière, sans oublier la rue Daguerre à Paris, lieu de vie et de travail avec Jacques Demy et leurs enfants. Une vraie plage a été reconstituée avec six camions-benne de sable fin déversés sur le bitume et leur maison a quant à elle a été reconstruite telle qu’elle était en 1951.
Ces plages sont devenues des prétextes et des chapitres naturels du film. Agnès Varda nous fait partager son parcours, depuis ses débuts de photographe de théâtre à son métier de cinéaste innovant dans les années cinquante et de productrice indépendante, en passant par son engagement féministe, ses voyages, ou sa vie de famille. Le tout prend la forme d’un collage avec différents extraits de films ou de photographies, et des sons mélangés d’entretiens anciens et de musiques. Dans ce puzzle, la réalisatrice a intégré des morceaux de rêverie avec des numéros de voltige sur fond de mer à Sète, filmés depuis un tour de 10 mètres.
Toute la beauté et le sang versécombats artistiques et politiques
Photographe ayant réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité, activiste infatigable, Nan Goldin était le sujet idéal d’un documentaire. Elle est au cœur de Toute la beauté et le sang versé qui nous emmène sur les traces de l’artiste et de ses combats artistiques et politiques. Déjà auréolée de l’Oscar du meilleur documentaire en 2015 pour Citoyenfourtroisième volet de sa trilogie sur les conséquences des attentats du 11 septembre, la réalisatrice et journaliste Laura Poitras a remporté le Lion d’or au Festival de Venise l’un dernier pour ce film.
Après avoir survécu au calvaire de l’addiction aux opiacés, Nan Goldin décide d’utiliser sa notoriété dans le monde de l’art pour tenir tête à la famille Sackler, propriétaire de Purdue Pharma qui commercialise l’OxyContin, un médicament antidouleur hautement addictif . La famille de mécènes est également célèbre pour ses dons généreux à des musées et autres institutions artistiques prestigieuses.
Nan Goldin fonde alors avec d’autres artistes le collectif PAIN (Prescription Addiction Intervention Now), qui prône la réduction des risques sanitaires et la prévention des overdoses et décide, dès le début, de documenter leurs réunions et leurs actions, avant de convier Laura Poitras. Durant près de deux ans, la réalisatrice rend visite à la photographe à son domicile de Brooklyn pour une série d’entretiens qui, mêlés aux diaporamas et aux photographies de l’artiste, constituant la colonne vertébrale du documentaire. « Dans mes films, je dresse toujours le portrait d’individus qui se bat pour une certaine idée de la justice et de la responsabilité. Nan Goldin était de ceux-là », souligne Laura Poitras. Si PAIN reste le thème central, le film explore les liens entre le militantisme, la vie et l’œuvre de l’artiste grâce à un travail très précis de recherches d’archives.
La marche de l’empereursuccès sur la banque
Une histoire qui mêle amour, drame, courage et aventure et ce, dans un des lieux les plus isolés et inhospitaliers de la planète : l’Antarctique. Pendant plus d’un an, Luc Jacquet et sa petite équipe ont affronté ce milieu hostile avec des tempêtes terrifiantes sur la banquise pour filmer l’ensemble du cycle de reproduction des manchots. Le film suit l’histoire d’un couple d’empereurs et de leur petit, dont les trois voix sont interprétées par Romane Bohringer, Charles Berling et Jules Sitruk pour un récit à la première personne. Dans cette région au climat rude, ce couple lutte pour perpétuer leur espèce et protéger leur progéniture contre le froid et les prédateurs – les manchots ne faisant au monde qu’un petit par cycle d’une année…
À l’image de la lutte de ces empereurs pour survivre sur la banquise, La marche de l’empereur un bataillé pour exister dans les salles obscures. Les difficultés techniques, logistiques et financières, il finit par sortir en 2005 et malgré un succès immédiat, l’aventure de cette petite famille passionnante le public. « À la sortie du film, je suis emporté par un tourbillon : près de deux millions de spectateurs en France… Le succès est phénoménal. J’appréhende ce qui m’arrive avec candeur et enthousiasme. Une vie bouleversée à jamais », se souvient Luc Jacquet.
Fort de ce succès dans l’Hexagone, le film remporte un César, une Victoire de la musique pour la bande originale composée par Emilie Simon, s’exporte sur tous les continents jusqu’aux Oscar où l’équipe défile sur le tapis rouge avec des peluches de manchot empereur. L’histoire raconte que peu après la remise de l’Oscar du meilleur documentaire, Lauren Bacall aurait réclamé l’une d’entre elles, « si mignon* » !
*Trop mignonne
dixe chambre, instants d’audience : la justice en face
Paris, année 2003. La caméra de Raymond Depardon se pose pendant trois mois à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris, vice-présidée par la juge Michèle Bernard-Requin. Le documentariste assiste à près de deux cents affaires jugées, de la conduite en état d’ivresse au petit trafic de drogue. Il en sélectionne douze, représentatifs du quotidien de la justice et de ses rouages. « Cela m’intéressait de montrer pas seulement la délinquance mais aussi des choses qui nous concernent tous », explique le réalisateur. Pour mieux montrer la réalité de ce monde judiciaire, dixe chambre, instants d’audience est direct, sans commentaires.
En se posant dans cette salle d’audience, Depardon poursuit son exploration humaniste du monde, après des films sur le monde paysan, l’Afrique, l’univers de la psychiatrie ou celui de la presse. Après Délits flagrants, tourné en 1994 dans les bureaux de la 8e section du Palais de justice de Paris, il s’agit de la seconde incursion de Raymond Depardon dans le monde judiciaire. Il pourrait même en être la suite puisque sa caméra s’intéresse cette fois-ci aux audiences, aux résolutions des affaires là où le film précédent montrait leurs entretiens avant les comparaisons immédiates ou les rapports de procès. C’est en tout cas la première fois qu’une caméra s’installe au cœur d’un tribunal correctionnel et capte ces audiences, les procès étant interdits d’être filmés. Mais Raymond Depardon a obtenu l’autorisation exceptionnelle de Jean-Marie Coulon, premier président de la cour d’appel de Paris.