Aux lecteurs de La Croix qui se demandaient comment un sénateur communiste peut être à la fois corapporteur d’une mission d’information du Sénat sur le patrimoine religieux (1) et premier signataire d’un projet de résolution demandant au ministre de la culture de surseoir à la protection au titre des monuments historiques de la basilique du Sacré-Cœur de Paris (2), je répondrai simplement que ces deux positions sont dictées par une même volonté cohérente de défense et d’illustration de la laïcité.
Pour préciser mon souhait de proposer, j’évoque la figure de l’abbé Grégoire, évêque constitutionnel de Blois, qui a défendu à la fois la séparation des Églises et de l’État et le statut des monuments historiques. Il fut à l’initiative du décret du 3 ventôse de l’an III qui rétablissait la liberté de culte, mais qui interdisait à la République de salarier les ministres du culte. Il souhaitait ainsi réinstituer l’Église dans la fidélité au christianisme primitif par l’élection des curés et des évêques. Ses idées ne sont pas sans écho avec les débats actuels sur le cléricalisme et la place des fidèles dans l’Église !
L’action courageuse de l’abbé Grégoire
Mais l’abbé Grégoire est aussi connu pour son action courageuse en faveur de la protection du patrimoine religieux. Nous lui devons l’invention du mot « vandalisme » et le Musée des monuments français en 1 795. Il défend l’idée révolutionnaire que les monuments et les œuvres appartiennent à la nation parce qu’ils sont des témoignages de son histoire, et des sujets d’instruction des citoyens.
Revenons au Sacré-Cœur. L’argument avancé par le maire de Paris pour demander à l’État son classement est trivialement budgétaire. En effet, la basilique n’est pas menacée, son état de conservation est satisfaisant et sa singularité architecturale bénéficie déjà d’une reconnaissance officielle par son inscription au titre des monuments historiques par l’arrêté ministériel du 8 décembre 2020. , la demande de classement ne semble motivée que par la volonté de la maire de Paris de pouvoir bénéficier pour les travaux de restauration de subventions de l’État pouvant aller jusqu’à 40 % du coût total des travaux. L’édifice le plus historique visité de Paris, la tour Eiffel, n’est protégé que par une simple inscription au titre des monuments depuis 1964 !
Des milliers d’édifices religieux menacés
La mission d’information du Sénat estime entre 2 500 et 5 000 le nombre d’édifices religieux dont l’état de conservation menace leur existence dans les dix ans à venir. Beaucoup d’entre eux mériteraient de bénéficier d’une protection au titre des monuments historiques, ce qui pourrait aux mairies, qui en sont les propriétaires, d’être aidées par l’État. Et c’est pour des raisons budgétaires que ce classement leur est refusé.
Le ministère de la culture ne souhaite pas renforcer la charge financière des édifices classés. Pourtant, les moyens financiers de ces communes, souvent peu peuplées, sont bien plus modestes que ceux de la mairie de Paris qui gère une rente fiscale lui permettant d’entretenir son patrimoine sans aide de l’État. Le classement du Sacré-Cœur représente donc une forme d’injustice pour tous les maires qui ne savent pas comment financer les travaux de leurs églises.
Ramenée à des préoccupations banalement économiques, la demande de classement de la mairie de Paris occulte ou feint d’ignorer les débats historiques et idéologiques sur la basilique du Sacré-Cœur. Il suffisait néanmoins de noter qu’il se trouve au numéro 35 de la rue du Chevalier-de-la-Barre et que le nom de Louise Michel a été donné au jardin qui la jouxte pour comprendre qu’il ne s’agit pas d ‘un édifice religieux comme les autres.
Une victoire dans le sang
Dans le grand conflit qui s’est opposé, durant tout le XIXe siècle, le camp républicain luttant pour la laïcité, la liberté de conscience et la séparation de l’État et des cultes et l’Église catholique voulant garder le gouvernement des esprits et des âmes , la basilique du Sacré-Cœur a été édifiée pour célébrer la victoire, dans le sang, de cette dernière. Ce projet politique est clairement exprimé par Mgr Félix Fournier, évêque de Nantes, le 20 juin 1873 : « Oui, ce culte du Sacré-Cœur que nos pères ont défendu devant le jansénisme, le voltairisme et devant tous les rationalismes, nous, héritiers de leur foi, de leur amour et de leur vaillance, nous voici le défendant en face de ces formes toutes plus hideuses les unes que les autres qui se nomment positivisme, matérialisme, socialisme, communisme, voire même athéisme. »
Au sein de l’Église de France, l’édification de la basilique du Sacré-Cœur est aussi la victoire des ultramontains et des catholiques monarchistes. Très proche de ces milieux, le cardinal François Richard de La Vergne, coadjuteur du cardinal Guibert, archevêque de Paris, déploya une activité intense en faveur de la construction de la basilique, puis fonda l’Union de la France chrétienne quand le pape Léon XIII recommande le rassemblement des catholiques à la République.
Défense de la laïcité
La basilique du Sacré-Cœur n’est donc pas un monument comme les autres. Il marque dans l’histoire de la République et dans l’histoire de l’Église l’acmé d’un affrontement idéologique majeur qui n’a été dépassé que grâce à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État . Il est reproché à la gauche, souvent à raison, d’avoir oublié la défense de la laïcité. La demande de classement du Sacré-Cœur par le maire de Paris en fournit malheureusement un nouvel exemple. Mais ses contempteurs de l’opposition ont voté avec elle. Seuls Danielle Simonnet et les élus du groupe communiste du Conseil de Paris ont voté contre. Saint Augustin a écrit : « Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion. »